– Mon chéri, tu arrives pile poil pour l’heure du thé c’est parfait ! Ta chérie n’est pas avec toi ?”
Ça commence bien. Elle parle vite, m’a déjà enlevé ma veste : elle est surexcitée. Je suis sûr que papa a vendu la mèche. Si j’arrive à en placer une, ce sera un miracle.
– Elle était patraque, mais elle s’excuse et…
– Tu es tout le temps en retard. Tu dois tenir ça de ton père.” Premier taquet, ça ne fait pas une minute que je suis entré dans la maison, ça s’annonce grandiose. “Quel thé te ferait plaisir ?
– Celui que tu voudras maman.” Si je commence à négocier, je suis perdu et on sera encore là demain matin.
– Pour toi qui aime les thés natures j’ai un Tamaryokucha Imperial, tu vas voir il a des notes marines et beurrées, c’est étonnant !
– Formidable ! Tu sais, je viens parce que…
Tamaryokucha Imperial du Palais des Thés / Crédit photo : Sophie Mülhens
– Mais non, je suis bête ! Je l’ai fini avec ma copine Martine de la gym. Tu sais qu’elle a toujours des problèmes avec sa déclaration d’impôts et donc elle est venue hier…” Si je la laisse partir sur les impôts de Martine de la gym, je suis mort. Je la coupe.
– Alors fais-moi un autre thé. Je suis certain que tu as un choix fabuleux.
– Mais oui ! Bien sûr ! J’ai un Darjeeling First Flush, le «champagne des thés». Tu vas adorer, mon petit chat. Raffiné et élégant il a une longueur fleurie en bouche.
– Ce sera parfait maman.”
Darjeeling First Flush de Teekampagne / Crédit photo : Sophie Mülhens
Je préfère qu’on discute autour de la tasse de thé plutôt qu’avant. Elle se lève du canapé et tourbillonne vers la cuisine. Je la suis. Catastrophe ! Elle est en arrêt devant son placard.
– Je me disais, tu ne voudrais pas goûter un Earl Grey plutôt ? J’ai Mademoiselle, tu sais, le classique revisité. Il est relevé avec de la lavande, tu vas voir, ça chatouille les papilles !
– Comme tu veux. Je voulais qu’on discute de…
Mademoiselle de THEODOR / Crédit photo : Sophie Mülhens
– Ah ! Il me reste de ce mélange-là ! Celui à la tarte au citron meringué dont tu raffoles ! Je vais préparer celui-là je pense.
– C’est Élodie qui est folle du Sans Complexe maman !” Qu’est-ce que j’ai dit ! Fatale erreur.
Sans Complexe de THEODOR / Crédit photo : Sophie Mülhens
– Tu es sûr ? Non, ta sœur ne peut pas vivre sans le Thé du Hamman Black Leaf. Elle adore son parfum gourmand et fruits rouges. Mais je suis certaine que c’est toi qui…” Elle s’interrompt une minute, en contemplation devant sa collection de mélange. “Attends, tu as peut-être raison. Ce sont des thés gourmands tous les deux.”
Aujourd’hui est un grand jour, j’ai réussi à faire admettre quelque chose à ma mère.
Thé du Hamman Black Leaf du Palais des Thés / Crédit photo : Sophie Mülhens
– “Oh !” Elle trépigne. “J’ai découvert un truc super ! C’est de l’eau de fruit, sans théine, c’est un ravissement ! Ça s’appelle Little Monster Tea, il faut absolument que tu goûtes ça. Et puis pour les enfants, c’est formidable !” Elle s’arrête net. Ne rougis même pas et continue de faire semblant de rien.
Little Monster Tea de Lagosta / Crédit photo : Sophie Mülhens
Du fond du placard elle extirpe un petit sachet transparent multicolore. Je soupire. Peut-être que l’épineuse question du thé est enfin réglée et qu’on va pouvoir parler sérieusement.
Catastrophe ! En sortant l’eau de fruit, elle fait tomber un sachet craft, l’observe et…
– Mince ! Le thé des Mamans ! Je voulais vous le faire tester aussi celui-là. Fraise, framboise et rose, une petite merveille. Quel dommage que ta chérie ne soit pas là !”
Elle se mordille la lèvre devant ce choix cornélien. Moi, je n’en peux plus, j’abandonne.
Le Thé des Mamans de l’Autre Thé / Crédit photo : Sophie Mülhens
– Écoute, je vais retourner dans le salon, tu vas choisir, libre, en ton âme et conscience, le thé qui te fait le plus envie et ensuite on pourra enfin discuter. Ça te va ?”
Et sans lui laisser le temps de répondre, je sors me planquer dans le canapé. Finalement j’espère que papa lui a tout balancé, parce que, parti comme c’est, je vais rentrer à la maison sans lui avoir rien dit.
Elle arrive avec la théière dans une main et deux tasses dans l’autre. En un tournemain, elle a installé le tout sur la table basse. Après un nouvel aller et retour, elle dépose une charlotte aux fraises de rêve sur la table, retire la boule à thé et la dépose dans une jolie petite fleur en porcelaine, verse le liquide fumant dans les tasses. Je me dis que c’est agréable de pouvoir rester un peu en silence avec elle. Qu’on n’a pas besoin de parler pour être bien tous les deux. Qu’elle a beau me casser les pieds, ma maman est épatante.
Je goûte le thé. Il est divin.
– Bon choix. Et superbe gâteau. Tu l’as fait pour moi ?
– Non.” Elle se cale au fond de son fauteuil, une lueur de malice dans le regard. “Je pensais surtout à ta douce. Dans son état, je me suis laissée dire qu’on raffolait des fraises…”
Grillé.
– Papa, tu ne pouvais pas te taire ?
Elle reprend.
– Oh, ne fais pas cette tête-là. Et ne blâme pas ton père. Tu sais très bien qu’on ne peut rien me cacher. Tu croyais vraiment que je ne devinerais rien ? Tu arrêtes de fumer, tu es tout joyeux, tu ne chipotes sur aucun des thé que je te propose… Franchement !” Elle sirote une gorgée, repose sa tasse, plante ses yeux dans les miens. “Allez, vas-y, déballe tout à ta vieille mère. Dans combien de temps est-ce que je serai grand-mère ?”
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